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Montréal - 11 juillet 2003
Le voyage
paraît tellement long jusqu'à la gare de Montréal.
Le train s'arrête enfin : terminus, tout le monde descend.
Pauline
nous attend au sommet de l'escalator. Nous avions prévu un panneau :
-
Nous sommes Esther et Mathieu
Pas la peine :
-
Ah, les voilà !
S'exclame-t-elle. D'un pas vigoureux, nous la suivons
jusqu'au sous-sol. Traversée de la ville et visite guidée
: quel privilège ! La voiture s'engouffre ensuite dans
une allée résidentielle. On dirait de petites maisons
de poupées, accollées les une aux autres. Voilà
celle de Pauline et Gilles, adorablement fleurie, enlacée
d'un escalier métalique vert, qui rejoint notre petit appartement.
Nous passons notre première soirée près
d'eux, autour d'un fabuleux poulet rôti, agrémenté de croquants
légumes et d'un savoureux vin, comme à la maison.
Tradition
oblige, le tutoiement est de rigueur. Un peu difficile au début, mais c'est
tellement facile de les aimer, presque instinctif.
Le lendemain,
nous rencontrons le reste de la famille. Marillia, la nièce, qui habite
2e étage au-dessus de chez nous. Elle a quitté la France 3 ans auparavant
et a refait sa vie ici. Nouvelle formation, nouvel emploi dans le secteur informatique...
elle a déjà qulques bribes de cette adorable accent québécois.
Valérie,
la fille, habite la maison d'à côté. Jamais très loin,
puisque les jardins communiquent. En fait, nous rencontrons d'abord son chat,
niño... sans commentaires. Valérie vit avec Samir, un intellectuel
Algérien exilé depuis plusieurs années dans cette ville incroyable,
"où il se passe toujours quelque chose". C'est pour ça
qu'il l'a choisie. Puis il a rencontré la délicieuse Valérie. Depuis, on arrive plus à se quitter, ajoute-t-il rieur. Et voilà
5 ans que ça dure.
Dans la famille, il y encore Donald
le meilleur ami de Pauline, depuis près de 30 ans. Donald l'Américain,
qui a fui, dans les tristes années, son incorporation pour le Vietnam.
Et il est resté, bravant les hivers trop froids et les étés
trop chaud, traînant entre le salon et la cuisine de Pauline et Gilles,
quand il n'est pas chez lui.
Montréal,
un patchwork insaisissable de gens d'ici et d'ailleurs, qui n'ont pas eu la force
de repartir. Nous comprenons vite que cette ville renferme un secret magique,
qui envoûte les visiteurs de passage, les fascine au point de ne plus les
laisser repartir. C'est Cédric qui nous dévoilera ce secret. Un
Lyonnais fraîchement débarqué de l'hexagone, qui a suivi la
femme de sa vie, québécoise. Il s'occupe, avec une poignée
d'amis, des
piknic électronik. Un rendez-vous dominical au large de la Skyline
de Montréal, sur l'Île Sainte-Hélène. En plein après-midi
et le plus souvent en famille, les fêtards du samedi soir retrouvent les
joyeux quincagénaires au rythme puissant de la techno. Une démarche
qui tente de démistifier le milieu, de le rendre plus accessible, moins
superficiel.
Cédric est le graphiste du projet... et graphiste tout court. C'est Montréal
qui lui a ouvert cet horizon, avec pour seuls bagages son talent et ses idées.
- A Montréal, tout est possible. Il y a du pognon, des gens prêts
à croire en tes idées, à l'investir dans tes projets.
Il
y croit et il l'a fait. Montréal, l'Hollywood francophone, où tout
est possible, même l'impossible.
Et le temps s'égrène,
au fil des expressions locales (Tabernak, Tchum's, Niaiseux, Hostie) et des rencontres
qui passent.
Simon est un solide gaillard de 17 ans. Nous
le croisons en pleine conversation avec ses voisines. Il leur explique qu'avec
un ami, il a essayé de manger "à la française"
un steak tartare. Il a donc tout bonnement croqué dans une viande hachée
cruedirectement sortie du congélateur. Et ils en ont ainsi avalé
3, avant de se sentir mal :
- C'était la vache folle
! Je te jure, je n'arrivais plus à étendre mes jambes !
Original Simon, qui nous propose ensuite de nous emmener
au skate park, pour son inauguration officielle. Tous ses amis l'attendent là-bas,
à 2 bonnes heures de marche. Un sujet rêvé pour notre émission,
consacrée à cette curieuse langue française d'Outre-Atlantique.
Nous proposons à Simon de le filmer et de nous apprendre quelques bonnes
expressions locales !
En route, nous découvrons un autre trait de personnalité des québécois
: ils n'aiment pas les Canadiens anglophones. En ce qui concerne Simon et ses
amis, ils les détestent carrément. Raisons historiques, cohabitation
difficile, méconnaissance de l'autre ? Sans doute tout ça à
la fois... et plus encore. Siomon les associe aux Etats-Unis et à George
Bush :
- Cet institut de penis !
Il
leur reproche d'avoir autorisé les mariages homosexuels (pour l'instant,
seulement dans une province canadienne anglophone) et Simon craint que cela n'arrive
jusqu'au Québec. Car du haut de ses 17 printemps et sous ses aspects "in",
Simon méprise les hommes qui aiment les hommes, ces satanés "fiffes"
comme il les appelle.
- Les lesbiennes, je ne dit pas ça
me plait assez, mais pas les homosexuels.
Ah... cohérent
petit Simon ! Quand on lui demande ses passions, il n'en a pas, sinon fumer des
joints et boire de la bière. C'est tout. Même internet, suppôt
de Satan, à l'anglicisme exacerbé, il déteste.
-
Il n'y a que le français, c'est la base, la meilleure langue, the first
of the first !
Derrière
les fourneaux de leur maison de poupée, nous retrouvons Gilles et Pauline.
Ce soir, c'est cuisine du terroir : Pâté chinois. Comme son nom ne
l'indique pas, c'est une recette typique d'ici. Elle rassasiait les Chinois qui
construisaient, dans le Grand Nord, la future voie de chemin de fer. Bourratif,
économique et délicieux ; ça se rapproche de notre hachi
Parmentier : une couche de viande hâchée, une couche de mais en grain,
une couche de purée de pommes de terre, le tout généreusement
saupoudrée de fromage et gratiné une bonne heure et demi au four.
Accompagné d'une égère salade, c'est un festin. Mais le meilleur
était à venir : la
tourtière du lac Saint-Jean, petit village paisible
qui a vu naître Pauline. Mais avant cela, étape obligatoire : le
marché, qui étale ses plus beaux produits au coeur du quartier italien.
Cela
sent l'oignon frais, les herbes fines, le piment coupé. Un peu plus loin,
ce sont les fruits, éclatants de couleurs. Nous sommes tôt dans dans
la saison, et la plupart provient des Etats-Unis, parfois du lointain Ontario. Pauline
préfère attendre, elle achetera québecois dans quelques semaines.
Elle inspecte alors les pommes de terre, produit de base de la tourtière.
Québécoise, bien sûr. Et les oignons, puis l'ail. Un détour
par le stand des sucreries. Valérie insite pour nous offrir de petits cornets
remplis de miel et recouvert de beurre...le tout au sirop d'érable, évidemment
; ça colle au dent, un vrai délice ! Avant de rentrer, un dernier
détour par la maison du roti. LE boucher de Montréal, autrefois
tenu par un français. Il propose la meilleure qualité de viande
de l'île, parait-il. C'est Benoît qui nous sert. Pauline est aux anges
:
-
En plus, c'est le plus beau !
Elle comande plus de 3kg
de boeuf, de veau et de porc, que le beau boucher s'applique à lui couper
en dés de 2cm. Pendant ce temps, Pauline choisit son lard, salé
de préférence. Il n'y en a pas, elle se rabat donc sur du demi-sel.
Cargés de cabas, nous prenons le chemin du retour.
Une tourtière
du lac Saint-Jean, ça se mérite. Nous commençons donc
à préparer la viande la veille. Dans un grand plat, nous ajoutons
les oignons, l'ail, quelques feuilles de laurier, du poivre noir et les herbes
à paresseux comme les québecois les appellent - nos bonnes vieilles
herbes de provence - car il n'y a rien besoin de faire. La viande a toute la nuit
pour s'imprégner de ce délicieux fumet.
Le
lendemain, c'est la phase critique du montage de la tourtière. La pâte
est abaissée au fond d'une grande rôtissoire et vient lécher
les rebords. Mains expertes seulement ! Puis en couches, la viande, des patates
coupées elles aussi en dés, viande, patates... jusqu'à épuisement
du stock. On referme le tout avec le reste de la pâte et au four, 6 bonnes
heures.
La
mère de Pauline préparait la tourtière en hiver, ça
sentait bon et ça chauffait surtout la maison. En cette somptueuse journée
estivale, pas besoin de ça, mais envie... et c'est l'essentiel.
Pendant
que la pête dore, Pauline téléphone à ses derniers
convives. Ils arriveront quand ils arriveront, comme elle aime à le répéter
:
- la tourtière
peut toujours attendre vos invités mais vos invités ne peuvent pas
toujours attendre la tourtière.
C'est Marillia
qui arrive la première, accompagnée de sa soeur ainée, Theodora,
et de sa nièce, Léa. Theodora et Léa viennent d'attérir
à Montréal, en provenance de la lointaine France, et elles rêvent
déjà de s'y établir. Ah... dangereuse Montréal, envoutante
Montréal !
Puis,
c'est au tour de Valérie et de Samir, sur leurs 31, et enfin, Donald. Tout
semble prêt... il ne manque que le convive de dernière minute, celui
que l'on attendait plus. La sonnette résonne, c'est Patrick, enfin. Les
mains noircies de labeur, éprouvé par un long déménagement.
Il devait déjà être parti à Québec, mais personne
ne résiste à l'appel de la tourtière du lac Saint-Jean. Surtout
pas lui.
- J'amène la bête.
Un
"Oh" satisfait acceuille la rôtissoire sur la table. C'est l'heure
fatidique du partage et de la dégustation. Pas un mot, juste des sourires
entendus... ça veut tout dire. La tourtière est un succès
et nous emmène loin, dans le nord, autour de la table familiale de Pauline,
entre les cris des sept enfants et le fourneau de la cuisine qui affronte le froid
rigoureux de l'hiver.
C'est notre dernière soirée
à Montréal, et déjà, nous luttons contre sa sournoise
attraction. Pour nous, le voyage continue, de l'autre côté de cette
maudite frontière. Demain tôt, un bus nous emménera au pays
des American flags... Nous nous endormons heureux et anxieux. C'est toute la fascination
d'un tour du monde.
Lire la suite : Voyage à San Francisco, Californie
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