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Papeete, Polynésie - 8 août 2003
Du Chedar au Camembert. Nous ne faisons qu'un pas. Dans les bottes
de Gulliver, au-dessus de l'Océan Pacifique. 8 heures de vol pour
rejoindre les 118 îles de Polynésie française, comme un cadeau
qui se mérite. Quelque part au milieu de nulle part. Rien n'est
plus éloigné du monde. Ça soulage et ça angoisse…
Etape obligée, Papeete capitale économique et son
minuscule aéroport international. Musique traditionnelle, hôtesses
et douaniers fleuris. On sent que les hommes d'affaires ne sont
pas légion. Nous nous mêlons à la horde de touristes pour les
formalités d'entrée … symboliques. Après tout, même à 15 728 kilomètres
de Paris, nous restons les sympathiques voisins suisses.
Dans l'aire d'arrivée, c'est l'effervescence.
Chaque passager est attendu, par son tour opérateur, son hôtel ou sa famille.
Les pancartes se meuvent à l'infini : Monsieur Dupont, famille Müller, Madame
Brown. Nous scrutons la nôtre. La Pension Armelle ? Aucune. Nous attendons que
l'excitation des premiers instants s'estompe… toujours rien. Le paradis commence
à virer à l'enfer. 18h30, dehors la nuit est tombée. Nous sommes renseignés :
les taxis sont hors de prix et le service de bus s'arrête vers 17h. Pas un franc
pacifique en poche, juste des dollars américains. Il ne nous reste plus qu'à changer
cet argent et trouver une cabine téléphonique.
Naturellement,
tous les commerces de l'aéroport sont fermés. Seul un bureau de change officie,
pour quelques minutes encore. Par chance, le bar vend des cartes à puce… nous
venons d'échapper à une longue nuit, sur les bancs rigides du F.A.A.A.
C'est
un jeune homme, résolument tahitien, qui prend l'appel :
-
Nous avons 8 nuits réservées dans votre pension et aurions besoin d'un tranfert.
-
Ah bon ? J'ai un Monsieur qui doit arriver ce soir ?
Nous
sommes trop fatigués pour essayer de discuter, même pire de s'énerver. Nous sommes
arrivées et c'est l'essentiel. Le jeune homme n'est pas pressé :
-
Je dois encore servir le repas et j'arrive… dans trois quarts d'heure.
Le
temps de goûter le bière locale, Hinano et sa vahiné splendide agenouillée sur
l'étiquette. Après les premiers petits pépins inévitables, voici notre première
gorgée de Tahiti, pleine de saveurs inconnues. Devant nous, les touristes s'engouffrent
dans leur énorme bus climatisée, un collier de fleurs de vanille autour du cou.
J'en avais rêvé durant tout le vol, mais personne ne nous attendait. Je réajuste
donc, sur mon oreille, la petite fleur blanche que l'hôtesse de Tahiti Nui m'a
offerte, elle fera l'affaire.
Une heure plus tard, la camionnette
estampillée " Pension Armelle " approche. Pas de collier de fleurs, pas d'excuse.
Nous nous apercevrons vite que les chichis, ce n'est pas leur truc. Un touriste
américaine les attend aussi, échouée sur le trottoir.
La
camionnette emprunte la ceinture qui longe la côte. La Pension est située à 7
km de là, dans la commune résidentielle de Punaauia. L'obscurité lisse le paysage,
mais nous entendons au loin l'Océan qui se jette sur le corail. Le jeune homme
tahitien commente au fur et à mesure les bâtiments que nous longeons. Ici, le
Musée des îles, là un restaurant " correct et bon marché ", plus loin un petit
centre commercial. Nous sommes arrivés. Le transfert nous coûtera 1000 francs
pacifiques, par personne, bien entendu. Soit la coquette somme de 26 francs suisses.
Pour une poignée d'ennuis et une longue heure d'attente, c'est cher payé. Nous
vérifions l'une des premières affirmations de notre petite guide de voyage, tout
se monnaie et tout est très cher.
-Vous avez choisi le
plus bel hôtel de l'île.
S'exclame, enjoué, notre
hôte, en poussant la porte de notre chambre. Nous restons quelques instant là,
devant cette pièce au confort spartiate. Un lit, une petite table de nuit, c'est
tout. A gauche, une minuscule cabine de douche à la propreté hésitante et un cabinet,
plus exigu encore.
Impossible de s'y asseoir et de fermer
la porte, les genoux coincent. Au mur sont flanqués trois posters, vantant la
beauté des îles… probablement offerts par l'office du tourisme.
Ce
sera donc notre pied-à-terre, ces 8 prochains jours.
Nos
rapports avec la " sympathique Pension Armelle " (dixit notre Guide " Petit Futé
") se dégradent rapidement. Nous pensions être accueillis un peu comme à la maison,
par une femme joviale et invitante, mais la bien nommée Armelle ne vit pas ici,
bien trop occupée à faire du business avec son autre pension " bourgeoise ", sur
l'île de Huahine. Ce sont ses fils qui gèrent celle de Tahiti, mais elle n'est
jamais très loin des comptes.
Armelle est en fait une redoutable
femme d'affaires. La seule fois où nous échangeons quelques mots, elle se plaint
violemment de ces touristes, qui ne s'inscrivent pas au repas du soir. A 1500
CFP le plat, choix unique, ils préfèrent sans doute manger au restaurant d'en
face, moins cher et plus serviable. Ou comme nous, s'acheter une baguette et du
fromage au supermarché.
Le lendemain, nous tentons vainement
de brancher notre matériel dans la petite chambre. Pas assez de prises électriques,
nous demandons donc, naïvement, une fiche triple à l'un des fils d'Armelle. Il
ne sait pas où il en a, si il en reste et de toutes façons, il s'en fout.
Un
soir encore, urgence : nous devons immédiatement envoyer un courriel ; aucune
de nos cartes de débit ne fonctionnent ici, nous risquons de nous retrouver sans
le sou d'un jour à l'autre. Les bus pour Papeete ne fonctionnent plus depuis longtemps
et nous savons que la Pension dispose d'un accès Internet, dans une arrière-salle,
" interdite au public ". Nous tentons de leur expliquer la gravité de la situation
et de négocier quelques minutes sur leur ordinateur, moyennant finances (le mot
magique). Mais ça ne suffit pas. Imperturbable, le fils répond :
-Vous
trouverez un Internet Café au centre commercial, à 15 minutes de marche. C'est
encore ouvert.
Rageant ! Nous nous mettons immédiatement
en route, le centre est évidemment fermé… pas le choix, nous y retournerons demain.
Et les jours passent à la Pension Armelle, d'indifférence
en remarques désagréables. Un matin, au petit-déjeuner, un couple de Français,
effaré par la saleté des lieux, nous recommande de faire comme eux et de terminer
notre séjour de l'autre côté de la rue, à la Pension de la Plage.
L'endroit
est irréprochable, immaculé. De petits bungalows encerclent une adorable piscine.
Les chambres sont spacieuses, confortablement équipées. La propriétaire, Corinne,
une métropolitaine exilée, déborde de bonne humeur. Mais les tarifs sont plus
élevés : 8400 CFP la nuit.
Une fois rentrés chez Armelle,
nous comptons et recomptons l'argent qu'il nous reste. Mais la Polynésie française
ne nous laisse pas le choix. Nous devons nous résigner et terminer notre séjour
ici.
Heureusement, l'île ne se limite pas à la petite pension.
Et dès que l'horaire des bus nous le permet, nous nous évadons. Mais ils sont
peu fréquents ! Nous renouons donc avec nos amours adolescentes et tendons le
pouce. On ne sait jamais, en attendant… Une, deux, trois voitures et c'est déjà
la bonne. Un sympathique polynésien, profitant de son dimanche. Deux jours plus
tard, un Métropolitain expatrié, entre deux rendez-vous professionnels. Nous nous
apercevons vite que rien ne vaut l'auto-stop. Les langues se délient, les contacts
sont faciles quoique éphémères ; mais ce sont les règes du jeu.
Ce
matin là, notre chauffeur d'un jour nous dépose devant la Lagonarium. Un curieux
attrape touristes, en forme de tête de requin immergée de l'eau, qui le signale
de la route. En s'enfilant dans la mâchoire, on observe le lagon de l'intérieur,
grâce à de vastes baies vitrées. C'est Alex qui nous reçoit. Grand, costaud, brûlé
par le soleil. C'est l'homme à tout faire de la maison : il nettoie les vitres,
peint les murs, guide les touristes. Mais ce qu'il préfère Alex, c'est nourrir
les requins… Une affaire de famille, ils ne s'attaquent jamais à Alex. Son père
lui a expliqué qu'ils étaient ses ancêtres. Sang pour sang, pas de cannibalisme
en famille.
Alex
s'immerge dans le bassin des squales, ce n'est pas encore l'heure de manger, mais
celle de jouer. Il s'approche du géant requin dormeur et s'accroche à son aileron.
Le dormeur le promène jusqu'à ce que les poumons d'Alex l'obligent à regagner
la surface. Instant magique, de communion intense entre l'homme et le mangeur
d'hommes.
Lorsque Alex me propose de plonger avec lui, je
suis heureuse d'avoir oublié mon maillot de bain.
Nous
restons là plusieurs heures, hypnotisés par le ballet du somptueux Napoléon, la
frénésie des voraces carangues, la terrifiante grâce des squales. Et le corail
blanc, qui se meurt et emporte dans sa valse morbide tous les beaux habitants
du lagon. Satanée pollution, maudits humains, irrémédiable réchauffement de la
planète. Alex doit nous laisser, c'est l'heure de nourrir les requins, le moment
préféré des touristes. Nous le laissons là, plongé dans son univers et retendons
le pouce, au bord de la petite route côtière.
Lire la suite : Voyage à Moorea, Polynésie française
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